Principes et objectifs
L’initiative pour un socle de protection sociale correspond à un ensemble de droits sociaux, d’infrastructures et de services essentiels auxquels tous les citoyens devraient avoir accès, afin de garantir un niveau de base de certains droits de l’homme énoncés dans les traités.
La notion de socle de protection sociale se décompose en deux éléments principaux que sont la disponibilité, la continuité, l’accès géographique et financier aux services essentiels, tels que l’eau et les installations sanitaires, une alimentation suffisante et nutritive, la santé, l’éducation, le logement et d’autres services sociaux concernant l’épargne et l’assurance vie d’une part et un paquet de base de transferts sociaux essentiels, en espèces ou en nature, versés aux personnes pauvres et vulnérables pour leur assurer une sécurité de revenu minimum, des moyens de subsistance ainsi que l’accès aux services de santé essentiels. Les transferts sociaux (mais aussi les informations, les droits et les mesures) seront versés aux enfants, aux personnes actives ne disposant pas d’un revenu suffisant et aux personnes âgées d’autre part.
Que sont les socles de protection sociale ?
Les socles de protection sociale (SPS) sont des ensembles de garanties élémentaires de sécurité sociale qui assurent, au minimum, à toute personne dans le besoin, tout au long de la vie, l’accès à des soins de santé essentiels et une sécurité élémentaire de revenu, lesquels garantissent un accès effectif aux biens et services définis comme nécessaires à l’échelle nationale.
L’établissement de socles de protection sociale est d’autant plus urgent en période de crise économique. En 2009, l’ONU a adopté l’initiative du SPS, comme l’une des neuf initiatives conjointes retenues pour faire face à la crise actuelle. Certains pays ont déjà entrepris la mise en oeuvre de telles politiques. Avant d’aller plus loin, il convient de bien faire la distinction entre la protection sociale et la sécurité sociale.
Les termes « protection sociale » désigneront la protection offerte par les systèmes de sécurité sociale contre certains risques et besoins sociaux. Les termes « protection sociale » revêtent souvent un sens plus large que ceux de « sécurité sociale » (et englobent notamment la protection mutuelle des membres d’une famille ou d’une collectivité).
L’expression est également utilisée, dans certains contextes, dans un sens plus étroit (auquel cas elle sert à désigner uniquement les dispositifs destinés aux membres les plus pauvres ou les plus vulnérables ou aux exclus de la société). « Protection sociale » et « sécurité sociale » sont souvent utilisés de manière interchangeable, ce qui est regrettable.
La notion de sécurité sociale couvre l’ensemble des dispositifs de prestations, en espèces ou en nature, visant à garantir une protection contre, notamment, l’absence de revenu tiré du travail ou son insuffisance, imputable à l’un des facteurs suivants :
- maladie, invalidité, maternité, accident du travail et maladie professionnelle, chômage, vieillesse, décès d’un membre de la famille ;
- le manque d’accès ou l’accès inabordable aux soins de santé ;
- l’insuffisance du soutien familial, en particulier pour les enfants et les adultes à charge ;
- la pauvreté et l’exclusion sociale en général.
Les régimes de sécurité sociale peuvent être contributifs (assurance sociale) ou non contributifs. Investir dans un socle de protection sociale, c’est investir dans la justice sociale et le développement économique.
Les régimes de protection sociale sont des outils importants pour réduire la pauvreté et les inégalités. Ils contribuent non seulement à empêcher que les individus et leurs familles vivent ou ne basculent dans la pauvreté, mais ils contribuent également à la croissance économique en augmentant la productivité du travail et en renforçant la cohésion et la stabilité sociale. La crise financière et économique mondiale a démontré que le socle de protection sociale est un outil important, qui peut agir comme stabilisateur automatique de l’économie. Le droit à la sécurité sociale est reconnu comme étant un droit de l’Homme, et le besoin de sécurité sociale est un besoin social et économique essentiel.
Toutefois, environ 40% de la population mondiale se trouve aujourd’hui sous le seuil de pauvreté international fixé à 2 dollars américains par jour (1,4 euros). Par conséquent, 40% de la population ne bénéficie pas d’une protection sociale de base. C’est face à ce constat alarmant que le Conseil des chefs de secrétariat des organismes des Nations Unies pour la coordination (CCS), avec le soutien du Comité de haut niveau chargé des programmes (HLCP), a adopté l’Initiative du socle de protection sociale (I-SPS) comme l’une des neuf initiatives conjointes visant à faire face aux effets de la crise économique. Le concept a été largement reconnu et accepté lors de diverses conférences internationales, régionales et nationales au cours des années 2009 et 2010, dont celle du G20 et des objectifs du Millénaire pour le développement (OMD).
La sécurité sociale représente un investissement dans le capital humain (l’éducation et la santé essentiellement) aussi important que les investissements dans le capital physique d’un pays. A titre d’exemple, les prestations en direction des enfants facilitent l’accès à l’éducation qui, à son tour, peut briser le cercle vicieux de la pauvreté qui se perpétue au fil des générations. L’accès aux soins de santé peut aider les familles à rester au-dessus du seuil de pauvreté en les soulageant du fardeau financier que les soins de santé peuvent occasionner.
Enfin, les prestations liées au soutien du revenu peuvent aider les personnes bénéficiaires à ne pas basculer dans la pauvreté. De plus, ayant la garantie d’un certain niveau de revenu, ils seront plus susceptibles de prendre des risques et d’investir dans leurs propres capacités productives.
L’approche de l’OIT tient compte de deux dimensions et vise à étendre la couverture des politiques de sécurité sociales efficacement de la manière suivante : La dimension horizontale devrait consister à mettre en oeuvre rapidement des socles de protection sociale au niveau national, à savoir un ensemble minimum de transferts, de droits et d’éligibilité, donnant accès aux soins de santé essentiels et assurant un revenu suffisant à toutes les personnes qui ont besoin de cette protection.
La dimension verticale devrait s’efforcer d’améliorer le niveau de la protection sociale pour le plus grand nombre possible de personnes vivant dans nos sociétés - au moins conformément aux dispositions relatives à la couverture et aux prestations de la Convention (No. 102) de 1952 concernant la sécurité sociale (norme minimum), voire à un niveau supérieur tel que défini dans d’autres conventions plus récentes de l’OIT.
L’objectif de la stratégie est de construire progressivement des étages « supérieurs », offrant des perspectives plus larges, et de ne pas se contenter de la base que constitue le socle de protection sociale. La métaphore utilisée pour décrire l’extension de la protection sociale est celle « d’un escalier de sécurité sociale ».
A mesure que les pays dégagent des marges de manœuvre budgétaire plus importantes, les systèmes de protection sociale peuvent, et doivent, monter ’l`escalier’ en étendant leurs couvertures et en augmentant le niveau et la qualité des prestations et services fournis. Le SPS fait partie intégrante du système de protection sociale de chaque pays.
Dans certains pays, il s’appuie sur les mécanismes de protection sociale déjà en place, tandis que dans d’autres il sert de base conceptuelle pour l’établissement de tels mécanismes. Le BIT soutient les pays, quelque soit le stade de développement de leurs systèmes de sécurité sociale, afin qu’ils puissent construire une vision durable en accord avec les aspirations énoncées dans les normes supérieures de sécurité sociale actuelles.
Afin de mette en oeuvre les objectifs relevant de la dimension horizontale, le BIT promeut, en gardant à l’esprit que les pays à moyen et faible revenu font face à des contraintes budgétaires particulières, un ensemble de garanties essentielles de base.
Les garanties promues par le BIT visent à une situation dans laquelle tous les résidents ont accès aux services de soins de santé essentiels, définis à l’échelon national ; tous les enfants bénéficient de la sécurité d’un revenu, au moins égal au seuil de pauvreté national, grâce à des allocations familiales ou autres prestations destinées à leur faciliter l’accès à l’alimentation, à l’éducation et aux soins ; toutes les personnes en âge d’être actives mais ne pouvant gagner un revenu suffisant sur le marché du travail bénéficient d’une sécurité de revenu minimal grâce à l’assistance sociale, des transferts sociaux ou encore à des régimes de garantie d’emploi ; tous les résidents âgés ou souffrants d’invalidité bénéficient de la sécurité d’un revenu, au moins égal au seuil national de pauvreté, grâce à des pensions de vieillesse ou d’invalidité.
Même s’il est difficile de mettre en oeuvre simultanément l’ensemble des garanties de sécurité sociale, il demeure nécessaire de considérer l’ensemble des quatre garanties citées ci-dessus comme un objectif général, quitte à ce que sa mise en oeuvre soit graduelle.
Ainsi, les pays garderont en ligne de mire l’objectif ultime - la protection complète de tous les résidents - et ils pourront évaluer le coût de substitution lié aux autres garanties non encore couvertes. Le fait de formuler un ensemble de garanties sous forme de socle de protection sociale devrait ainsi conduire à des décisions politiques rationnelles fondées sur l’analyse des coûts et des avantages de chaque garantie essentielle.
Le concept du Socle de protection sociale (SPS) est basé sur les principes communs de justice sociale et est ancré dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (DUDH), le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966 (PIDESC), les Conventions de l’OIT sur la sécurité sociale, la Convention relative aux droits de l’enfant et d’autres textes relatifs aux droits de l’homme. Il reflète l’appel de la DUDH pour l’accès à un niveau de vie décent ainsi qu’à la santé, l’éducation, l’alimentation, le logement et la sécurité sociale. Le droit à la sécurité sociale lui-même est reconnu comme un droit de l’homme dans les articles 22 et 25 de la DUDH et l’article 9 du PIDESC.
En outre, le concept du socle de protection sociale vise à garantir une réalisation concrète des droits de l’homme. La réalisation du droit à la sécurité sociale représente un élément fondamental de la Constitution et du mandat de l’OIT.
La Déclaration de Philadelphie (1944) reconnait expressément l’obligation solennelle pour l’OIT de soutenir la mise en oeuvre de programmes propres à réaliser, entre autres « l’extension des mesures de sécurité sociale en vue d’assurer un revenu de base à tous ceux qui ont besoin d’une telle protection ainsi que des soins médicaux complets ». Plus récemment, les Etats Membres de l’OIT et les partenaires sociaux ont adopté, lors de la Conférence internationale du travail, la Déclaration de l’OIT sur la justice sociale pour une mondialisation équitable (2008) ainsi que le Pacte mondial pour l’emploi (2009).
La Déclaration de l’OIT sur la justice sociale pour une mondialisation équitable (2008) établit une nouvelle base sur laquelle l’OIT peut soutenir efficacement les efforts de ses mandants visant à promouvoir et réaliser le progrès et la justice sociale et ce à travers les quatre objectifs stratégiques de l’OIT exprimés dans l’Agenda du travail décent :
- la promotion des droits fondamentaux,
- la création d’emplois,
- la protection sociale et le dialogue social.
Le Pacte mondial pour l’emploi (2009) est la réponse cadre de l’OIT à la crise et a pour but fondamental de proposer une base concertée, à la fois au niveau national et international, sur laquelle asseoir des politiques destinées à stimuler la reprise économique, la création d’emplois décents et l’extension de la sécurité sociale.
Le Pacte invite expressément les pays à adopter « une protection sociale adéquate universelle fondée sur un socle de protection sociale prévoyant notamment un accès aux soins de santé, une garantie de revenu pour les personnes âgées et les handicapés, l’octroi de prestations pour enfants à charge et une garantie de revenu pour les chômeurs et les travailleurs pauvres combinée à des programmes publics de garantie de l’emploi. »
Il encourage, en outre, la communauté internationale à fournir une aide au développement pour les pays qui en ont besoin, notamment sous forme de soutien budgétaire, afin qu’ils instaurent un socle de protection sociale à l’échelon national.
En 2011, la Conférence Internationale du Travail (CIT) - réunissant les gouvernements, les organisations représentatives des travailleurs et des employeurs de 183 pays membres -a adopté des conclusions significatives au regard de l’extension de la sécurité sociale pour tous via des socles de protection sociale définis au niveau national et s’intégrant progressivement aux systèmes de sécurités sociale existants ou en cours de développement.
Garantir un Socle de protection sociale (SPS) pour l’ensemble de la population représente un défi considérable.
Cependant, des expériences réalisées dans divers pays à travers le monde ainsi que des études chiffrées menées par diverses agences des Nations Unies, montrent qu’un socle de transferts sociaux de base est globalement abordable, pour tous les pays, quelque soit leur niveau de revenu. Une marge budgétaire insuffisante, ou bien le vieillissement des populations, sont parmi les principales raisons pour lesquelles la sécurité sociale est souvent jugée inabordable ou insoutenable pour les finances publiques.
Des études ont pourtant montré, qu’un ensemble de prestations sociales de base est économiquement abordable, à condition que les prestations soient introduites de manière progressive. Il existe de multiples façons d’atteindre une couverture sociale financièrement accessible dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.
Alors que certains pays cherchent à étendre l’assurance sociale en la combinant avec de l’assistance sociale, d’autres pays subventionnent la couverture sociale des plus pauvres afin de leur permettre de participer aux régimes généraux, alors que d’autres cherchent à mettre en place des régimes universels, financés par l’impôt, ou des programmes sous conditions, aussi appelés programmes de transferts sociaux conditionnels.
Chaque approche a ses avantages et ses inconvénients, et l’approche choisie par chaque pays dépend nécessairement des valeurs nationales, de l’expérience passée et du cadre institutionnel de chaque pays. Le facteur manquant dans de nombreux cas est la soutenabilité budgétaire des dépenses de protection sociale, qui devrait provenir soit d’une augmentation progressive des dépenses de protection sociale, d’une réorientation de dépenses publiques, ou d’une augmentation des recettes et des cotisations. Un certain nombre de pays à faible revenu, pourrait avoir besoin de la solidarité de la communauté internationale durant une période initiale de transition d’une durée jugée suffisante.
Cependant, un tel recours à une aide extérieure nécessiterait une planification budgétaire appropriée du financement requis à moyen terme afin que les ressources nationales puissent prendre le relais de ces subventions extérieures pour garantir un SPS durable à long terme. Le principal défi, pour le financement de base de la sécurité sociale demeure néanmoins de créer une marge de manœuvre budgétaire suffisante afin de fixer le niveau des dépenses.
Des pays affichant un PIB par habitant du même ordre de grandeur diffèrent considérablement par le volume de fonds publics et par le pourcentage de ressources consacrées à la sécurité sociale. Le volume de l’investissement dans la sécurité sociale est donc essentiellement une question de volonté et de priorités politiques. Des mesures devraient être prises afin d’optimiser la capacité administrative de L’Etat ou des institutions de sécurité sociale à offrir des prestations de manière efficace, à réduire au minimum le gaspillage et le détournement de ressources.
La leçon essentielle qui peut être tirée d’une expérience longue de plus d’un siècle, est que la bonne gouvernance est une condition nécessaire pour y parvenir. Ceci requiert des processus efficaces de prestation de services, de suivi et d’évaluation, ainsi qu’une bonne gestion financière, soigneusement conçue, qui doit reposer sur des responsables dûment formés.
Sécurité sociale
Protection sociale
La stratégie d’extension de la sécurité sociale
La base et le cadre juridiques
Le financement du Socle de protection sociale
La mise en oeuvre
L’Initiative mondiale du Socle de protection sociale (I-SPS) ne vise pas à créer, au niveau national, des processus parallèles s’ajoutant aux initiatives existantes. Au contraire, elle considère les politiques liées au socle comme étant partie intégrante des processus de planification économique existants au niveau national. De nombreux pays ont déjà pris des mesures pour la mise en place de certains éléments d’un SPS, et d’autre devront partir de zéro.
Ainsi, les socles de protection sociale nationaux sont développés sur la base des systèmes de protection sociale existant, des structures institutionnelles et administratives, des contraintes économiques et de marge de manœuvre budgétaires, du contexte et des dynamiques politiques et sociales en termes de besoins, et des objectifs et des priorités spécifiques à chaque pays. Les politiques nationales pour le SPS seront donc définies par chaque pays, qui en dirigera également la mise en oeuvre. Les membres de la Coalition internationale de l’I-SPS jouent un rôle consultatif et peuvent fournir un appui technique et financier aux processus nationaux du SPS.
Bien qu’il existe une variété de moyens de mettre en oeuvre des SPS, certaines activités génériques ont été identifiées en tant qu’étapes clés dans l’établissement de SPS nationaux. Les membres de la Coalition de l’Initiative du SPS soutiennent les processus nationaux :
- En s’engageant dans une sensibilisation et une démarche de plaidoyer concertés au niveau global afin d’intégrer les SPS dans les stratégies de développement, de mobiliser des ressources et d’accroître la collaboration inter-agences ;
- En offrant un soutien technique et financier aux groupes de travail du SPS nationaux pour chacune des activités mentionnées ci-dessus ;
- En collectant des exemples probants, en documentant des expériences et en développant des outils et méthodologies tels que des outils de budget social, les modèles actuariels, les outils et les méthodes d’évaluation des besoins et des coûts, etc. (par exemple l’Analyse des prestations et des indicateurs de résultats en protection sociale (SPER) et le Protocole d’Evaluation Rapide) ;
- En s’impliquant dans le développement continu du Manuel et cadre stratégique pour les opérations conjointes au niveau national produit en 2009 ;
- En offrant des formations et des programmes de développement des compétences à travers le Centre international de formation à Turin et d’autres universités partenaires, y compris l’Université de Maastricht (Pays-Bas) de Lausanne (Suisse) et de la République de Maurice ;
- En encourageant la coopération Sud- Sud et la coopération triangulaire grâce à plusieurs initiatives.
Par exemple, la documentation d’expériences réussies, élaborée par des experts nationaux, a été réalisée par le BIT et l’Unité Spéciale du PNUD pour la Coopération Sud- Sud (SU PNUD/CSE) dans la publication « Sharing Innovative Experiences : Successful Social Protection Floor Experiences ». Des activités inter-agence de l’I-SPS concrètes sont en cours au Bénin, au Togo, au Burkina Faso, au Mozambique, au Rwanda, en Argentine, au Salvador, en Haïti, au Népal, en Thaïlande et au Vietnam. L’Algérie, le Botswana, le Cambodge, le Ghana, l’Indonésie, le Laos, les Phillipines et d’autres pays ont aussi exprimé leur intérêt pour l’ISPS.